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En toute inquietude
[ Jean-Luc Piraux ]
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Rencontre avec Jean-Luc Piraux

Comment débute une nouvelle création en solo ?

Pourquoi écris-tu ?
Je pense que je ne sais pas faire autrement ! Pour « Faut y aller », j’ai entendu sonner le glas en faisant mon potager. J’ai eu envie de parler de la mort. Alors j’ai beaucoup lu à ce sujet. Peu après, j’ai reçu la commande de sketches qui évoqueraient le chemin de fin de vie. J’ai rencontré des assistants sociaux, des cliniciens, des chirurgiens, des cancérologues, des patients et leurs familles. Je pose toujours les mêmes questions : « Quelles sont vos difficultés ? Qu’est-ce qui ne va pas ? ». J’avais envie de faire rire sur nos attitudes face à la mort. L’autobiographie fait partie de mon travail d’écriture : je vais chercher des éléments de personnalités que je connais ou que j’ai rencontrées. J’aime me nourrir de ces vies-là, parce que je pense que ces emprunts au réel, bien que recomposés, amènent une profondeur.

J’écris parce que j’ai ressenti quelque chose, personnellement, dans le flux de la vie. Au théâtre, je pense en terme d’« émotion ». Pas celle qui gêne ou encombre le public, mais celle qui mène l’histoire. Chaque scène de mes spectacles est portée par un sentiment – il n’est pas gravé à l’eau-forte, plutôt à l’aquarelle.

Comment écris-tu ?
J’aime toujours mes personnages. Je ne me moque jamais d’eux. Mais je les charge ! Je leur fais endosser à eux seuls des éléments que j’ai observés chez différentes personnes. Les traits sont concentrés pour faire ressortir les motifs, les contradictions, les sentiments. Je donne la parole aux personnages dans leur fragilité. Cette double volonté de surcharge et d’humanité permet au public de se reconnaître… et donc de rire ou de sourire – mais c’est un rire « avec », pas un rire « au dépends de ». Je dirais donc que mon écriture a le décalage pour moteur.
C’est un miroir bouffonesque. On se reconnaît, ou on reconnaît quelqu’un qui vit cela… On se promène dans une forme d’absurde où la ressemblance avec la réalité n’est pas du tout fortuite ! Et j’apprécie particulièrement d’écrire sur la générosité des petites gens. Des héros ordinaires, comme nous tous… J’aime donner la parole à des gens qui ne l’ont jamais.

Comment définirais-tu le rire sur lequel tu travailles ?
Pour en avoir côtoyés, et des très bons, je dirais d’abord que je ne suis pas un humoriste. Je crois que je raconte des histoires « avec pour pudeur l’humour ». Le rire est un instrument dont j’aime jouer. J’aime créer une forme d’étrangeté, parce qu’elle fait voyager. Le plus beau rire, c’est quand on rit de soi, pas de l’autre. Quand on se reconnaît. Parce que c’est une vraie communion. Dans l’écriture théâtrale, j’aime bien parler de tragédie comique ou de comédie tragique. Ce poids-là amène un rire qui est beau, du fait qu’il sollicite l’humanité dont on est tous chargés. Je me dissocie totalement des spectacles où l’on va en se disant : « Allez, on va rire » ! L’humour est un instrument dont je joue parmi d’autres. J’aime les harmoniques du rire, parce qu’elles résonnent – ou raisonnent – dans les êtres…

« En toute inquiétude » évoque ton père. Pourquoi en parler aujourd’hui ?
Je n’ai rencontré mon père que peu avant sa mort. Il est décédé quand j’avais 33 ans. J’en ai aujourd’hui 52. Sans la maladie, sans la mort, je ne l’aurais pas retrouvé… Non, pas retrouvé. Trouvé. Parce qu’on ne se connaissait pas, même si j’ai vécu sous son toit. Il avait été énormément pris par son travail, puis il l’avait perdu. Il a vécu cette perte comme un mal honteux. Il a retrouvé du boulot, mais pas dans ce qu’il aimait. J’ai voulu écrire sur le genre de vie qu’il a eu : une vie où le père se perd. Où la situation sociale prend totalement le pas sur les rêves. Où l’on parle de ce qu’on a – ou pas – mais jamais de celui qu’on est, ni de celui qu’on rêverait d’être. Le prisme du travail a amené une figure du perdant : un personnage qui fuit tout le temps, qui ne se sent plus à sa place alors qu’il ne fait rien ni pour la revendiquer ni pour l’inventer. Mon père rêvait de lancer sa propre affaire avec deux amis, il ne l’a jamais fait. Je pense qu’il aurait pu en être heureux. Dans le spectacle, il utilise l’expression « à mon rythme »… S’il avait davantage écouté ce rythme, ça aurait mieux été pour lui. Cette notion va assurément à l’encontre de notre société, où il faut faire, consommer. Tout le système politique et économique est basé sur ce principe. Mais n’est-il pas précieux de se demander : « Qu’ai-je vraiment envie de faire ? Qu’est-ce qui est prioritaire ? ». Ce n’est pas un credo que je veux imposer aux spectateurs. C’est une interrogation que je veux partager avec eux.


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